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L’ESPACE DE PHASE

Notre première approche du chaos nous a fait réaliser la difficulté de trouver des solutions exactes ou même approchées à des équations non linéaires et ceci nous amène à la recherche d’une représentation qui nous permettrait d’accéder plus simplement à des solutions qualitatives. C’est le moment d’introduire l’espace de phase.

Dans le cas simple de la boussole normale, l’espace de phase a deux dimensions q et q’ ; L’état dynamique de l’aiguille aimantée à un instant donné est représenté par le point de coordonnées :

q = q0 cos w1t

q’ = - w1 q0 sin w1t

En fonction du temps ce point décrit une ellipse qui est la trajectoire de phase et cette trajectoire de phase contient toutes les informations sur le mouvement de l’aiguille aimantée dès qu’elle est abandonnée avec les conditions initiales q0 et q0 . Par exemple, si l’aiguille est abandonnée avec une élongation q0 et une vitesse nulle q0 = 0 , l’état initial sera représenté par le point P et le mouvement qui suit par le déplacement de ce point P dans le sens de la flèche (figure 6).

Pour une élongation initiale plus grande, la trajectoire de phase est une ellipse plus grande et l’on obtient ainsi une infinité de trajectoires de phase qui se divisent en deux groupes :

Pour les mouvements oscillatoires de l’aiguille, la trajectoire de phase est toujours une ellipse fermée sur elle-même.

Pour les mouvements de rotation complète de l’aiguille, qui se produisent si q0 est grand, la trajectoire de phase est ouverte.

Entre les deux groupes se situe une courbe limite : la séparatrice (figure 7).

Enfin il faut souligner que les trajectoires de phase ne se coupent jamais. Si tel était le cas, le point d’intersection correspondrait à un état initial q0 et q0 pouvant conduire à deux avenirs distincts pour le système ce qui est en contradiction avec le déterminisme au sens idéal du terme.

Avec l’introduction du champ tournant B2, l’état dynamique du système dépend maintenant de trois paramètres et il faut pour le décrire un espace de phase à trois dimensions q , q’ et j. La trajectoire de phase prend alors une forme très contournée dont l’aspect est difficile à appréhender. C’est là que l’imagination féconde de Henri Poincaré nous conduit à une représentation plus simple et plus lisible. Puisque j est un angle, sa périodicité est 2p et il est inutile de le faire croître jusqu’à l’infini. Il suffit de repérer la trajectoire en la coupant par des plans verticaux de coordonnées 0, 2p, 4p… et de projeter les points d’intersection P1, P2, P3… ainsi obtenus sur le plan q , q’. On est ramené alors à une représentation à deux dimensions baptisée coupe de Poincaré (figure 7). Sur cette coupe apparaissent très nettement les deux régimes dynamiques du système :

Des régions où les points se distribuent sur des courbes fermées régulières qui correspondent aux situations où l’aiguille est en résonance avec le champ fixe B1 ou le champ tournant B2.

Des régions où les points se distribuent de façon tout à fait désordonnée qui correspondent aux situations où l’aiguille est animée d’un mouvement chaotique.

Cette coupe de Poincaré a été obtenue par calcul sur ordinateur à partir de l’équation différentielle (2) sans le terme de frottement Kq’.

Ainsi, bien que l’on ne puisse pas résoudre exactement et complètement cette équation différentielle, l’approche de la coupe de Poincaré nous permet de trouver avec précision les conditions initiales q0 et q0 à réaliser pour obtenir un mouvement déterministe ou un mouvement chaotique.

L’introduction dans l’équation (2) du terme de frottement  Kq signifie que le système est dissipatif, ce qui veut dire que de l’énergie mécanique est dissipée sous forme de chaleur. L’aiguille aimantée ne s’immobilise pas pour autant car son mouvement chaotique est entretenu par le champ tournant qui injecte en permanence de l’énergie dans le système. On constate alors que la coupe de Poincaré se simplifie encore pour donner un ensemble de points formant une figure très étonnante, de structure feuilletée, que l’on a baptisée « attracteur étrange » ; cette structure feuilletée se maintient quelle que soit l’échelle à laquelle on l’observe, ce qui veut dire que l’attracteur étrange a une structure fractale (figure 8)*.

« L’attracteur étrange est une région limitée de la coupe de Poincaré sur laquelle viennent s’accumuler sans jamais se couper les trajectoires de phase d’un système dissipatif entretenu, ayant au moins trois degrés de liberté dans l’espace de phase, une grande sensibilité aux conditions initiales, et un mouvement chaotique ».

L’attracteur étrange représente l’ordre dans le chaos.

* On choisit les variables de l’espace de phase qui donnent la représentation la plus simple. Dans la figure 8 ces variables sont q’et q’’.

L'ordinateur reçoit de ces bobines les signaux q’et q’’ et, en plus, un signal pilote issu de l’oscillateur de fréquence w0 / 2p. Les signaux sont traités par un programme approprié calculant directement une coupe de Poincaré dans l’espace de phase q’, q’’ et l’on voit se construire l’attracteur étrange en temps réel sur l’écran (figure 8).

Cette expérience est en elle-même un petit exploit : la moindre imperfection dans la qualité du pivot suffirait à brouiller complètement l’image dans l’espace de phase. Elle valide définitivement cette notion d’ordre dans le chaos représentée par l’attracteur étrange.

DE LA THÉORIE A L’EXPÉRIENCE

Tous les résultats que nous venons de présenter sont issus de calculs numériques sur ordinateur à partir de l’équation (2). Cette équation elle-même ne peut être mise en doute puisqu’elle repose sur les lois éprouvées de l’électromagnétisme. L’existence de l’attracteur étrange, issue d’un calcul théorique, est donc certaine. Mais la preuve de son existence serait encore meilleure si l’on pouvait extraire l’attracteur étrange directement de l’expérience. C’est ce qui a été réalisé en 1981 par un physicien français, Vincent Croquette.

Cette expérience de recherche (figure 9) est calquée sur l’expérience de démonstration (figure 5) mais tous les éléments sont particulièrement soignés pour pouvoir réaliser des mesures rigoureuses et fiables. Le barreau aimanté tourne sur un axe défini par deux pointeaux ; on lui adjoint deux palettes symétriques plongeant dans un bain d’huile afin de fournir un frottement liquide. Pour simplifier le schéma on n’a pas représenté les bobines créant le champ fixe et le champ tournant mais, en revanche, on a représenté les deux bobines détectrices qui, par induction, donnent un courant proportionnel à q’.

Avec cette première partie nous venons donc d’introduire la physique du chaos par la voie qui nous a paru pédagogiquement la plus simple. Cette voie pédagogique n’est pas la voie historique : la physique du chaos a été créée par Henri Poincaré en utilisant une voie bien plus difficile, celle de la mécanique céleste. C’est une belle histoire, qui mérite d’être racontée, et qui se poursuit aujourd’hui par la découverte du chaos dans le système solaire.

 

BRÈVE HISTOIRE DES SYSTÈMES DU MONDE

Depuis la plus haute antiquité les hommes observent les mouvements des astres dans le ciel et les peuples méditerranéens sont particulièrement bien servis par un ciel très pur. Ils ne manquent pas de se rendre compte, de visu, que le Soleil, la Lune et les étoiles tournent autour de la Terre et tout serait pour le mieux dans le meilleur des systèmes du monde possibles s’il n’y avait pas des astres errants au mouvement tantôt direct, tantôt rétrograde, qu’ils ont baptisés planètes. Après plusieurs tentatives, émerge chez les Grecs un système cohérent proposé par Ptolémée en 140 après J.C.

Ptolémée place la Terre au centre du monde, ce qui correspond parfaitement à l’observation directe. Autour d’elle tournent, d’un mouvement circulaire uniforme, le Soleil, la Lune, et la voûte céleste. Quant aux planètes, elles tournent également autour de la Terre, mais sur des trajectoires plus complexes, les épicycles, combinaison de deux cercles, et l’on explique ainsi que leur mouvement puisse être rétrograde à certaines périodes. Ce système permet des prévisions des phénomènes célestes tels que les éclipses avec une fiabilité assez bonne compte tenu de la précision des mesures de l’époque.

Le mouvement circulaire uniforme est la base du système. Il est même érigé en symbole de régularité, d’harmonie, et d’immuabilité.

Copernic propose en 1543, un système plus simple. Le Soleil est au centre du monde tandis qu’autour de lui, la Terre et les autres planètes tournent d’un mouvement circulaire uniforme. Il n’y a que la Lune qui tourne autour de la Terre. Les prévisions qu’il permet sont aussi bonnes mais pas vraiment meilleures que celles données par le système de Ptolémée. L’argument de la simplicité est en faveur de Copernic mais c’est un argument théorique ; l’expérience n’a pas encore tranché.

Le dogme de l’immuabilité du mouvement circulaire uniforme demeure inchangé.

Tycho Brahé propose en 1577 un système mixte. La Terre est au centre du monde ; autour d’elle tournent le Soleil et la Lune tandis que les planètes tournent autour du Soleil. Tous ces mouvements sont circulaires uniformes et le système de Tycho Brahé est cinématiquement équivalent au système de Copernic. Il semble mieux conforme à l’observation de visu et, en bon observateur, Tycho Brahé préfère s’en tenir à l’immobilité de la Terre tant que l’expérience ne tranche pas en faveur de Copernic.

Le dogme de l’immuabilité du mouvement circulaire uniforme demeure inchangé.

Képler précise en 1609 le système de Copernic. Utilisant les résultats des observations de Tycho Brahé, qui sont d’une précision remarquable, il crée un nouveau système du monde qui sert toujours de base aux calculs d’aujourd’hui. Les cercles sont remplacés par des ellipses ; les mouvements des planètes et des satellites sont caractérisés par la loi des aires ; les périodes de révolution des planètes sont reliées aux dimensions de l’orbite. Avec ces trois lois de Képler les prévisions des éphémérides astronomiques sont bien améliorées.

L’harmonie du mouvement circulaire uniforme est abandonnée mais le dogme de l’immuabilité est conservé.

Newton introduit en 1687 une cause unique, la gravitation universelle. La force attractive exercée par le Soleil sur les planètes explique les orbites et les mouvements découverts par Képler. Cela montre en particulier que le système de Tycho Brahé n’est pas dynamiquement équivalent au système de Copernic et l’on élimine ainsi définitivement toute idée de placer la Terre au centre du monde. Mais, cette synthèse remarquable contient en elle-même une difficulté : puisque la gravitation est universelle, les planètes s’attirent aussi entre elles et cela doit créer des perturbations. Newton lui-même a bien conscience de cette difficulté, en particulier quand il essaie de calculer avec précision le mouvement de la Lune.

Peut-on maintenir encore le dogme de l’immuabilité ?

Laplace est le véritable fondateur de la mécanique céleste. En 1784, il lance la théorie des perturbations, méthode de développement en série qui permet de calculer les orbites réelles des planètes par approximations successives à partir des orbites képlériennes. Il montre par exemple que les orbites de Jupiter et de Saturne se rapprochent puis s’éloignent régulièrement avec une période de 800 ans. Le système solaire n’est donc plus tout à fait immuable mais il paraît en équilibre stable.

L’immuabilité demeure, sous une forme plus élaborée : la stabilité.


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