Jacques Derrida

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Jacques Derrida
Philosophe occidental
Philosophie contemporaine
Naissance : 15 juillet 1930 (El Biar)
Décès : 9 octobre 2004 (Paris)
École/tradition : Phénoménologie - Déconstruction
Principaux intérêts : Philosophie du langage, Analyse littéraire, Ethique, Ontologie
Idées remarquables : Déconstruction, Différance , trace
Influencé par : Heidegger (Foucault, Bataille,Edmond Jabès, Blanchot, Lévinas, Nietzsche)
A influencé : Foucault, Lacoue-Labarthe, Nancy, Stiegler

Jacques Derrida, né Jackie Derrida le 15 juillet 1930 à El Biar (Algérie) et mort le 9 octobre 2004 à Paris, est un philosophe français qui a initié puis développé la méthode de la déconstruction. Ce concept (bien que Derrida récuse explicitement qu'il s'agisse d'un concept, ni même d'une méthode), une critique des présupposés de la parole, a largement débordé de sa discipline d'origine et touche dorénavant à la littérature, la peinture, la psychanalyse, etc. Derrida a, en outre, associé son nom à de nombreuses réflexions sur la philosophie.

Sommaire

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Biographie [modifier]

D'origine juive et sarde, il grandit en Algérie et subit les lois de Vichy. Il connaît, durant sa jeunesse, une scolarité mouvementée. Il voit les métropolitains comme oppresseurs et normatifs, normalisateurs et moralisateurs. Sportif, il participe à de nombreuses compétitions sportives et rêve de devenir footballeur professionnel. Mais c'est aussi à cette époque qu'il découvre et lit des philosophes et écrivains comme Jean-Jacques Rousseau, Friedrich Nietzsche, André Gide et Albert Camus.

Après trois années de classes préparatoires littéraires au lycée Louis-le-Grand à Paris, il entre – après deux échecs – à l'École normale supérieure en 1952, où il découvre Kierkegaard et Martin Heidegger. Il y fait la rencontre d'Althusser. Puis il est assistant à l'université américaine d'Harvard.

Il se marie en juin 1957 avec Marguerite Aucouturier, une psychanalyste, et effectue par la suite son service militaire. La naissance de son premier fils, Pierre, a eu lieu six ans plus tard. En 1959, il enseigne pour la première fois au lycée du Mans et est invité à la première décade de Cerisy (cycle de conférences auquel il sera invité quatre fois).

En 1964, il obtient le prix Jean-Cavaillès (prix d'épistémologie) pour sa traduction (et surtout la magistrale Introduction) de l'Origine de la géométrie d'Edmund Husserl. En 1965, il est professeur de philosophie à Normale Sup où il occupe la fonction de « caïman », c'est-à-dire de directeur d'étude, avec Louis Althusser. Sa participation au colloque de Baltimore à l'Université Johns Hopkins marque le début de ses fréquents voyages aux États-Unis. En 1967, ses trois premiers livres sont publiés (c'est aussi l'année de la naissance de son deuxième fils Jean). Il côtoie régulièrement Maurice Blanchot et s'associe progressivement à Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe et Sarah Kofman. Les éditions Galilée sont fondées à cette époque et deviennent la « voix » de la déconstruction.

En 1978, Jacques Derrida prend l'initiative de lancer les États généraux de la philosophie à la Sorbonne. Il s'implique de plus en plus dans des actions politiques, domaine qu'il avait apparemment écarté de sa vie professionnelle (il est resté en retrait par rapport aux événements de mai 1968). Ainsi, il soutient toute sa vie la cause démocratique en Afrique du Sud, ce qu'il nomme "l'admiration" de Nelson Mandela; un de ses ultimes textes, in articulo mortis, est consacré au sujet de la réconciliation (Commission de la vérité et de la réconciliation).

En 1981, il fonde l'association Jean-Hus avec Jean-Pierre Vernant qui aide les intellectuels tchèques dissidents. Il sera arrêté et brièvement emprisonné à Prague (des agents des services tchèques ont dissimulé de la drogue dans ses bagages) à la suite d'un séminaire clandestin. C'est François Mitterrand qui le fera libérer.

Il fonde le Collège international de philosophie en 1983. L'une des traces les plus visibles dans son travail de ce que certains ont considéré comme sa "politisation"aura été la publication en 1993 de "Spectres de Marx".

À partir de 1984, il est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Marié à Marguerite Aucouturier, il a en 1984 un enfant de sa relation avec Sylviane Agacinski, qu’elle a élevé seule par la suite, avant de devenir la compagne de Lionel Jospin en 1989, et ensuite son épouse.

Il est Distinguished Professor en philosophie, français et littérature comparée à l'Université de Californie à Irvine (UCI) aux États-Unis à partir de 1986.

En 1995, Jacques Derrida est membre du comité de soutien à Lionel Jospin. Mais il refuse de l'être en 2002, en raison notamment du jugement qu'il porte sur la politique du gouvernement socialiste sur l'immigration. En revanche Sylviane Agacinski écrit dans son Journal interrompu, publié après la défaite de Jospin : « Je lis le 23 mai dans Libération que Jacques Derrida n'a pas voté au premier tour "par mauvaise humeur contre tous les candidats" ».

À partir de 2003, Jacques Derrida souffre d'un cancer du pancréas et réduit considérablement ses conférences et ses déplacements. Il meurt le 9 octobre 2004 dans un hôpital parisien, à l'âge de 74 ans.

Travaux [modifier]

Philosophe français majeur du XXe siècle, Derrida bénéficie d'une reconnaissance des deux côtés de l'Atlantique, qui va bien au-delà du monde universitaire. Par exemple, le film de Woody Allen Deconstructing Harry (en 1997, traduit en français par Harry dans tous ses états) est une référence directe aux travaux de cet auteur — "référence" que Derrida jugera d'ailleurs pauvre et décevante au regard de la complexité de ce "concept". « Héros culturel » aux États-Unis selon Jean-Louis Hue du Magazine Littéraire, il a reçu 21 fois un doctorat Honoris causa, de plusieurs universités. Derrida déclarait avant sa mort au journal L'Humanité : « Je n'ai jamais fait de longs séjours aux États-Unis, le plus clair de mon temps ne se passe pas là-bas. Cela dit, la réception de mon travail y a été effectivement plus généreuse, plus attentive, j'y ai rencontré moins de censure, de barrages, de conflits qu'en France.»

Pourtant, Derrida a la réputation d'être un écrivain difficile, exigeant pour son lecteur, même pour des philosophes. Son style est dense, il pratique de nombreux jeux de mots et affectionne les allusions. Sa lecture, souvent déconcertante et nécessitant de nombreuses relectures, révèle des ouvertures sur l'avenir de la philosophie. Sa remise en cause d'Husserl et plus largement de la philosophie occidentale le conduit à déconstruire l'approche phénoménologique : pour lui, l'écrit a longtemps été négligé au profit de la parole. Il fait alors la chasse aux impasses méthodologiques. Ce travail prend place dans l'introduction de l'Origine de la Géométrie.

Derrida est malgré tout un philosophe qui déchaîne les passions. Ses premiers travaux de portée internationale sont vivements critiqués. Dans son essai sur le philosophe anglais John L. Austin et sa théorie des actes de langage, Derrida est accusé de s'entêter à énoncer d'évidentes contre-vérités, notamment par le philosophe américain John Searle. Nombreux sont les philosophes qui se sont élevés contre le doctorat honoris causa que lui a décerné l'Université de Cambridge en 1992, reprochant aux travaux de Derrida « leur inadéquation aux standards de clarté et de rigueur ». C'est d'ailleurs aux États-Unis, qu'il a beaucoup fréquentés, qu'il connaîtra la plus grande audience et que son travail fécondera le plus profondément les champs philosophique, politique et littéraire. Mais on peut dire que le rayonnement de sa pensée a été et reste aujourd'hui considérable dans le monde entier.

Si la philosophie ne sait pas comment se comporter avec Derrida, tour à tour l'acclamant et le reniant, d'autres disciplines ont pu se reconnaître dans la déconstruction et son travail sur l'épistémologie.

Idées [modifier]

Article détaillé : Déconstruction.

De Platon (Phèdre) à Rousseau et Lévi-Strauss, il dénonce la primauté traditionnelle de la parole, conçue comme "vie" et "présence", sur l’écriture. Il désigne ce système métaphysique comme logocentrisme, voire phallogocentrisme. Il "déconstruit" donc la métaphysique occidentale, fondée sur la détermination de l’être en tant que présence, en mettant à jour les présupposés qui la sous-tendent et les apories auxquelles elle mène.

En particulier, il s'agit de découvrir, dans les textes de la tradition, l'articulation binaire de concepts que la métaphysique prétend distinguer dans leur pureté :

  • Présence / absence ;
  • Phénomène / essence ; intelligible / sensible, réalité / apparence ;
  • Parole / écriture ; nature / culture ; artifice / authenticité ; masculin / féminin...

Chacune de ces oppositions est complice des autres et constitue un ensemble de valeurs qui dépassent le cadre philosophique : cette binarité est proprement politique et dévalorise systématiquement l'un des termes, pensé comme "accident", "parasite", "excrément".

Or, la différance est précisément le mouvement "producteur" de ces différences : elle est le "processus" par lequel diffèrent les concepts. Contemporain du structuralisme, Derrida élabore une différence proche de celle qui, chez Ferdinand de Saussure, donne sens aux éléments signifiants, sous forme de trace. La « trace », cependant, ne permet pas de remonter à une quelconque origine : les concepts diffèrent, ne sont jamais pleinement en eux-mêmes et sont intriqués malgré leur apparente opposition, mais il n'y a aucune vérité première, aucune différence transcendantale à poursuivre.

L'écriture a été dévalorisée, car matérielle mais source d'erreur : en inscrivant une trace coupée de son énonciateur, elle se détache de la vive voix, seule source de vérité.

Or, le langage, même oral, ne signifie qu’en impliquant mort ou absence du référent [cf. notamment la lecture du séminaire de la Lettre volée de Lacan, dans La Carte Postale, de Socrate à Freud et au-delà] : l'itérabilité qui fonde la possibilité du signe inscrit à même celui-ci la coupure de son "origine", la décontextualisation, l'absence du locuteur. Le sens suppose en son cœur absence de référent et de la conscience, car il se déploie dans l’intervalle qui les sépare, dans la convention linguistique qui rend tout signe par définition détachable de son contexte.

Cependant, le travail de la déconstruction assume de ne jamais se libérer pleinement de ce qu’elle démystifie : elle travaille à même les concepts, en joue pour les jouer contre eux-mêmes, cherche à déplacer les oppositions sans prétendre les anéantir.

Le désir de présence qui habite le désir de sens (que la chose visée soit donnée en tant que telle dans la visée) est contradictoire, puisque le sens n'émerge que dans sa "mortifère" itérabilité.

Derrida éprouve un cœur d’opacité au cœur du rationnel, identifié comme défaut nécessaire et originaire de présence, comme écart originaire.

Il s’agit, selon François-David Sebbah, d’éprouver et non de produire des résultats positifs.

Œuvres [modifier]

Jacques Derrida est l'auteur de plus de 80 ouvrages. Figurent ici ses écrits les plus connus ou ceux qui éclairent le mieux sa pensée.

Essais et mémoires [modifier]

  • Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl

Livres [modifier]

Colloques autour de Jacques Derrida [modifier]

  • L'Ethique du don. Jacques Derrida et la pensée du don, (Royaumont 1990), sous la direction de Jean-Michel Rabaté et Michael Wetzel, Métailié-Transition, 1992.
  • Le passage des frontières - autour du travail de Jacques Derrida, (Cerisy-la-Salle, 1992), sous la direction de Marie-Louise Mallet, Galilée, 1994.
  • L'Animal autobiographique - autour de Jacques Derrida, (Cerisy-la-Salle, 1997), sous la direction de Marie-Louise Mallet, Galilée, 1999.
  • Judéités - questions pour Jacques Derrida, (Paris, 2000), sous la direction de Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly, Galilée, 2003.
  • Ghostly Demarcations. A Symposium on Jacques Derrida's Specters of Marx (New York, 1998), sous la direction de Michael Sprinker, Editions Verso, 1999.
  • La démocratie à venir - autour de Jacques Derrida, (Cerisy-la-Salle, 2002), sous la direction de Marie-Louise Mallet, Galilée, 2004.

"Derrida, la tradition de la philosophie", Colloque d'octobre 2005 organisé par Jean-François Courtine, Francis Wolff et Frédéric Worms. Avec des interventions de Françoise Dastur, Rudolph Bernet, Stéphane Mosès, Patrice Loraux, Denis Kambouchner, Jean-Luc Marion, Marc Crépon, Pierre Macherey, Jean-Luc Nancy, Alain Badiou et Étienne Balibar.

Films [modifier]

Jacques Derrida a fait des apparitions dans deux films :

Deux films lui sont consacrés :

Un film s'est inspiré de sa philosophie :

Essais sur Jacques Derrida [modifier]

  • Geoffrey Bennington et Jacques Derrida, Jacques Derrida, Seuil, 1991.
  • Marc Goldschmit, Jacques Derrida, une introduction, Pocket, 2003.
  • Grégoire Biyogo, L'Adieu à Derrida, Paris, l'Harmattan
  • Manola Antonioli [dir.], Abécédaire de Jacques Derrida, Sils Maria, 2007 (ISBN : 2-930242-56-6).
  • Marc Goldschmit, "Une langue à venir. Derrida,l'écriture hyperbolique", Lignes-Manifestes, 2006.
  • François Nault, Derrida et la théologie. Dire Dieu après la déconstruction, Paris, Cerf, 2000.

Liens externes [modifier]

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Voir aussi [modifier]

Notes [modifier]


Les principaux philosophes

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