Association
Moulin de líImage
 
PROJETS de líAMI
(A.M.I.)
lemoulindelimage@wanadoo.fr

 
 

6.1.2.2 Manifeste de François

Manifeste pour líArchitecture Rebelle

et le Moulin de líImage

Par François Barré

Ce que nous montrent les revues díarchitecture ; ce que les musées exposent et que distinguent les grands prix díarchitecture ne représente quíune part infime de ce quíest la construction dans le monde. Pour le reste, cíest-à-dire la quasi totalité, force est de constater une uniformité extrême et une médiocrité dominante, résultant de ce quíon appelle férocement le libre jeu du marché. Ainsi líarchitecture, à líaube du XXIe siècle, est-elle devenue un art rare, de célébration et de monumentalisation intéressant quelques cénacles díamateurs savants et díesthètes distingués, tandis que líurbanisation galopante et la soumission au règne du profit et à la puissance de líargent transforment notre planète en un amas díagglomérations informes faites de bâtiments identiques, sans durabilité, sans expression singulière, sans beautés, à la pratique inconfortable, plantés sans discernement ni recherche díune urbanité et díune volonté de vie commune; incapables donc díorganiser une relation díusage, une hiérarchie et une maîtrise des espaces, ignorants enfin du partage et des représentations de líespace public. Líarchitecture ne sait plus faire habiter líhomme. 

Congédiée du monde comme il va, líarchitecture ne peuple plus que des revues étiques et esthétiques, laissant à díautres, promoteurs, développeurs, possédants et marchands la commandite díun ouvrage sans úuvre. Le siècle naissant révèle un monde sans qualité, avide du plus et du moins, jamais du mieux et du bon; inéquitable dans sa profusion à imposer aux faibles ce que produit le fort; oublieux des différences et des cultures qui préservaient dans líart de construire et díhabiter une part irréductible de richesse et díaltérité. 

Il est dans líart une gratuité de líinvention et de líoffre qui rend nos différences universelles et que níaltère pas le désir de plaire. Líart échappe ainsi, par sa nature même, à une économie de líoffre et de la demande. Tel ne devrait pas être le cas de líarchitecture, liée à líusage, aux regards croisés de líhabitant et du passant, inscrite dans une solidarité de voisinages et de partages díespaces privés et publics. Par un détournement délétère du sens et des valeurs, líarchitecture a oublié la demande de la part du "  petit homme "  quíAlvar Aalto plaçait au centre du monde pour ne síoccuper plus que des délices díune création muséale contingentée ou des comptabilités iniques dí une production de confinements. 

Architectes, si vous croyez encore à líarchitecture, il est temps de vous rebeller avant que díêtre serfs ou monuments historiques. Vivez et revivez pour une architecture rebelle. 

******* 

- Líarchitecture doit sortir de líalternative détestable, être historique ou níêtre rien.  Les stars que fabriquent les medias et dont ceux-ci se nourrissent pour vivre mènent le combat díune avant-garde attardée, perdue dans la contemplation de soi, éloignée de líépoque et de ses urgences, ignorante de la maison où habiter mais férue de palais et de temples, croyant encore à líéternité quand la vitesse porte le monde dans ses gloires ou ses détresses. 

Tout projet est grand qui veut répondre à líurgence de vivre ensemble. La fable des grands projets níamuse plus, si elle abuse encore. Finissons en de ces copulations du prince et de líarchitecte octroyant au monde de nouvelles pyramides. Si líarchitecture est díintérêt public, elle  líest pour chacun de nous. 

- Líarchitecture participe de la cité et doit se soumettre au foisonnement et à la relation. Elle níest pas une île enfermée dans ses règles et ses replis, clamant la splendeur de son illusoire autarcie. Emplie du monde et de ses dépenses quotidiennes, elle est à líúuvre dans la constitution collective des établissements humains, nécessaire mais non suffisante, nourricière et cependant dépourvue si ne venaient líirriguer et la nourrir aussi , la géographie, les réseaux de líéchange et de la mobilité, la plénitude des vides et des espaces à partager et à organiser, les voies mêlées de ceux qui habitent et produisent, créateurs aussi de biens et de richesses, paroles errantes et longues germinations. Il faut en finir avec la question solitaire de líarchitecture et se tourner vers aujourdíhui pour énoncer enfin la réponse collective de líarchitecture. 

- Líarchitecture appartient à celui qui líhabite plus quíà celui qui la conçoit et à celui qui la voit autant quíà celui qui líhabite. Le projet níexiste que síil épouse les formes díune vie et de ses déploiements dans líespace. Faisons naître, pour agir de concert avec le maître díouvrage et le maître díúuvre, une instance de la demande quotidienne : la maîtrise díusage. 

- Tout ce que fait líarchitecte níest pas de líarchitecture. Celle-ci requiert une exigence ambitieuse et une modestie attentive. Elle níest faite ni pour se distinguer à tout prix, ni pour satisfaire à vil prix le goût marchand des bâtisses et des boîtes. La compétition et son expression architecturale du concours níest que conspiration des ego et amoindrissement de la pensée. Líarchitecture ne se vend pas à líencan dans des magasins de fournitures.  Elle exprime líépoque qui la fait naître et fait naître cette époque. Aussi doit-elle retrouver le chemin de la cité, celui de la polis et du politique. Tout est débat, forces au travail, échanges et confrontations. Le monde à vivre vaut bien quelque alternative et il est plus vaste que nos jardins. Refusons le nivellement du consensus et la réduction de la politique à un petit cabotage au plus près des côtes et des sondages.  Espérons le grand large. Réinventons le politique et récusons le vis-à-vis artificiel de partis-machines gérant et digérant le monde au seul profit díune part de líhumanité, consommatrice et prédatrice. Rébellion et culture de projet ! 

- Cessons de détruire le monde pour le construire. Inscrivons nos modes díagir dans une économie de líautre, de la nature, du contexte, des énergies, de la différence, de la mémoire, des cultures, du développement durable, de líéquité et du projet de vivre ensemble. Líécologie urbaine, celle de tous les établissements humains, intègre líarchitecture quand celle-ci intègre cela. Belle et rebelle comme un épi, líarchitecture doit pousser là où líhumain se greffe. Elle circule comme líair du temps, descend les vallées et les rues ; irrigue les civilisations. 

- Amputée et souffrante, une partie de líhumanité est exploitée, forcée par la pauvreté, mise en servage au profit díune économie inéquitable conduite au gré de leurs intérêts par des sociétés multinationales que nulle règle commune ne parvient à contenir. 

Le monde riche confiné dans ses calculs et ses dominations voit sa démographie stagner tandis que le monde pauvre, plus vaste et de plus en plus éloigné des niveaux de vie de ses prédateurs, síagglomère dans des cités géantes et uniformes où alternent líencagement du plus grand nombre et líédification vulgaire de tours et díenseignes mimant avec indigence líarchitecture du pouvoir économique et prônant líidée, venue díailleurs, díune entreprise-monde nous modélisant tous. 

Le XXIe siècle síébauche là. Aucun architecte ne peut ignorer ce défi. Tous doivent se mobiliser pour líusage et le confort du plus grand nombre, pour que les villes ne soient pas líengendrement du chaos, pour que la puissance et ses nécessaires développements expriment aussi une histoire et des avenirs différents. 

- Insufflons et enrichissons nos différences dans une volonté commune de reconnaissance et de jeu. La mondialisation est la source díune géographie élective. Sachons tramer des réseaux et des architectures pour que, se conjuguant, des valeurs partagées répondent à líurgence sans ignorer le désir. 

Les nouvelles technologies de communication sauront créer les proximités sans abolir les distances. Líespace ne se réduira pas mais síamplifiera et ouvrira nos perspectives. Les disciplines ne se rétracteront pas mais síinterpénétreront. Les aspirations et les pratiques síhybrideront et se croiseront. Interdisciplinaire, multimedia et polytopique, le XXIe siècle nous donnera les moyens díune histoire voulue. 

***** 
Les reconstructions díaprès-guerre appelaient des forces rassemblées  et des réponses immédiates. La situation est plus grave encore aujourdíhui dans une majorité de pays. 

Réunis au Moulin de Saint-Piat autour de Jean Beaudoin, de son travail et de ses recherches; instruits des leçons de Buckminster Fuller et de Jean Prouvé; convaincus que la création passe par la transformation et la maîtrise du territoire par la densification; confiants dans la capacité de chacun à retrouver une architecture savante et populaire par la déclinaison de structures modulables industrialisées ou auto-construites; déterminés à vivre mieux et à lutter contre líendormissement du monde et son éternel présent marchand et spectaculaire, les signataires du présent manifeste níespérant nul mérite hors líutilité et nulle gloire hors la recherche de líéquité et de la solidarité, en appellent à líédification díune architecture rebelle, destinée et offerte à tous, appropriable, universelle et singulière. 
 
 

Au nom de tous.