Utilisation et enjeux de l'image numérique

Perspectives à court et moyen terme.

par Patrick Saint-Jean,
Maître de Conférence à l'École Normale Supérieure de Cachan,
Chargé de Cours à l'Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne.


Publié dans les actes du colloque PERCEPTION 3D au CNAM à Paris en Novembre 1994,
organisé et édité par l'Association des Professeurs de Technologie de l'Enseignement Public.
Version US publiée dans Computer Graphics (1997)


Résumé

La réflexion sur d'une part les résultats d'une étude relatant de l'expression 2D sur support papier de la réalisation 3D d'un scénario fiction, effectuée par une population japonaise et française, et d'autre part l'évolution des élèves ou des étudiants en situation d'apprentissage en vue d'utiliser la création artistique à des fins industrielles ou éducatives dans le technique, nous invite à analyser la situation actuelle où les méthodes traditionnelles de représentation ou de présentation ne suffisent plus et où les technologies nouvelles passionnent mais effraient suffisamment pour fuir ou éviter le passage à l'acte qui implique parfois une restructuration mais surtout de nouvelles méthodes de travail. Constatant l'imminence du changement professionnel, nous posons le problème de l'enseignement et les enjeux de l'image numérique en tentant d'évaluer des solutions pour l'actuel et le futur immédiat.


Introduction


Au siècle des communications terrestres et spatiales, l'électronique a ouvert de nouvelles voies, et nous a poussé à une réflexion plus spécifique sur l'ergonomie de la communication humaine (communication homme-machine mais également homme-homme via la machine), aussi bien grand public que professionnelle avec les interférences que l'une et l'autre peuvent avoir entre-elles par le facteur éducatif qu'elles impliquent.


La télévision et la révolution médiatique

La photo, le cinéma, la télévision et les voyages ont ébranlé le monde de Gutenberg, vieux de plusieurs siècles, où l'imprimer support du discours, de la mémoire et de la communication par le texte imagé, a créé des habitudes de lecture, d'écriture et d'action développées autour du document papier. L'accroissement de l'information prise en compte, a provoqué l'édition de documents soit superficiels ou simplifiés pour le grand public, soit très denses ou très surchargés pour les spécialistes. C'est souvent le cas des dessins industriels où la feuille de papier ne suffit plus et est remplacée par un gros dossier relatant des différentes composantes.
Mais il reste de vrais problèmes de communication d'une part entre spécialistes de professions ou de savoir-faire différents, et d'autre part entre un spécialiste et un non spécialiste qui pourtant doivent savoir en parler et savoir faire faire, pour intégrer les spécialités dans des projets plus généraux menant à la réalisation et à la production. Tel est le cas du designer (stylisticien) qui travaille avec l'ingénieur et l'homme de marketing sans pour autant être spécialiste de ces deux derniers domaines. Il en est de même des grands chantiers (bâtiment, génie civile, spatial, cinéma, et autres) ou tous les corps de métier doivent être pris en compte aussi bien dans la mise en place du cahier des charges que dans la conception et jusqu'à la production.
L'enseignement cherche à faire face à cette situation avec un programme soit très généraliste soit très spécialisé face à une population grand public de toute provenance ou pré spécialisée. Mais le comment communiquer entre spécialités ou entre une spécialité et une personne extérieure à cette spécialité sans que le temps de communication soit dépensé pour expliquer le contenant plus que le contenu, reste un vrai problème.
Si le livre, le journal, le magazine et le document papier s'adaptent à la lecture en toutes circonstances du "chacun chez soi et Dieu pour tous", le nouveau monde de l'image animée et de l'audiovisuel (peut être le monde de Mc Luhan), à peine plus vieux que quatre décennies, où la rue et la télévision du "chacun partout et du tout le monde chez soi" bouleversent les habitudes, provoquent les échanges, incitent à la fois aux mélanges et à l'identification des cultures, et favorisent la communication par l'image commentée, proposant ainsi la réflexion par l'observation, le regard, le voyage, le reportage, la réalisation d'une oeuvre ou de soi-même pour, avec ou à travers les autres.
L'image numérique, le multimédia, et la réalité virtuelle apportent des solutions ; et le système informatique devient l'unimédia idéal où s'effectuent les passages nécessaires à l'expression et à la coordination de ces différents points de vue : passage progressif et "continu" de l'objectif au subjectif, du quantitatif au qualitatif, du simple au complexe, de la rigidité à la souplesse, d'une esthétique à une autre, d'une éthique à une autre.


Le numérique et la révolution du multimédia

L'évolution parallèle de l'ordinateur et des systèmes informatiques, du centre de calcul à l'ordinateur personnel bien équipé, a fait découvrir ou émerger un nouveau monde : celui du virtuel numérique, mémoire centrale ou périphérique, électronique, magnétique, magnéto-optique, ou optique, supports du nombre codé permettant des calculs arithmétiques et logiques et des visualisations écran ou papier, provoquant des automatismes, une conversationalité, une programmation et une interactivité, une immersion dans l'environnement visuel, des mouvements et des gestes et même des perceptions multi-sensorielles.
L'intellectuel ne peut donc plus se contenter de l'écriture, de la lecture et du discourt traditionnel et ancestral, puisque d'une part les utilisateurs ont un besoin de plus en plus grand (en temps, quantité et qualité intégrés) de mieux comprendre, mieux montrer et démontrer, et d'autre part l'audiovisuel, l'hypertexte, le multimédia et l'hypermédia numérique permettent de rendre mieux compte, par le texte, l'image, le son et le mouvement, des messages que nous voulons communiquer à un maximum de personnes (et non pas seulement aux initiés), et surtout des problèmes toujours plus complexes que nous essayons d'aborder, de comprendre et de résoudre.
Tout ceci change profondément nos acquis, dans nos méthodes de réflexion et nos modes d'expression, qui intègrent de plus en plus de composantes, et par conséquent change notre mental. A la dualité concret-abstrait mettant en avant ce qui est perceptible par nos sens et conceptualisable par notre esprit - ayant d'ailleurs provoqué la scission sociale techniciens-intellectuels -, le numérique met en évidence l'importance du virtuel lié à la simulation, à l'imaginaire, à l'inductif en plus du déductif. Et la projection de l'être pensant et agissant, sur le support numérique et logistique, rétablit l'équilibre concret-virtuel-abstrait, tout comme l'équilibre éducationnel sciences-arts-lettres permettant d'assurer la recherche et le développement par l'expérimentation dans les ateliers du concret (atelier de l'artiste traditionnel, laboratoire technique où sont traitées par l'action et la perception des entités objectivées comme réelles), dans les ateliers du virtuel (espaces d'information numérique, mémoire centrale programmable visualisée sur l'écran interactif ou mémoires périphériques de l'ordinateur, où sont stockées et traitées tout ce que le codage et le symbolisme rendent potentiel), et dans les ateliers du concept (bibliothèque, table de l'écrivain et du chercheur où l'on traite de l'idée et du concept). Mais l'atelier du virtuel se met de plus en plus facilement dans l'atelier du concret et sur la table de l'écrivain et favorise les projections d'ordre physique et même métaphysique et pourquoi pas spirituel. Le virtuel numérique devient tout simplement un lieu commun. Alors pourquoi ne pas l'exploiter à fond dans l'éducation et le professionnel, sans pour autant éliminer ni la diversité ni la réalité du concret par une modélisation simplifiée dite "plus facile", et de l'abstrait par une manipulation en grand nombre des contenants du concept (le signifiant) plus ou moins indépendamment de ses contenus (le signifié). Certes le virtuel n'est qu'une stimulation des images mentales du concret et de l'abstrait souvent plus riches à l'heure actuelle que le synthétique et l'artificiel. Mais il devient progressivement et massivement un générateur d'images simulant le concret et l'abstrait traditionnels et également un générateur d'images nouvelles irréalisables ou inconcevables à un moment donné mais pouvant projeter l'avenir et par conséquent influençant fortement le réalisable et le concevable. Le virtuel numérique n'est donc pas seulement l'expression de champs potentiels mais également de champs d'influence qu'il nous faut bien connaître pour mieux les utiliser.

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La réalisation 3D sur support 2D de l'enfant à l'adulte