Loin d'être hors contrôle, le concept de cybernétique
se régule en France dans un domaine non centralisé
mais distribué en réseau : Information, Systémique et Cybernétique.

Par Patrick Saint-Jean
pstjean@ens-cachan.fr
Maître de conférence à l'École Normale Supérieure de Cachan, France.
Président de Paris ACM SIGGRAPH Professional Chapter.
Membre de l'ASTI (Sciences et Technologies de l'Information).
MARS 2003.

Partie I

Introduction
Pris dans sa composante temporelle, le mouvement cybernétique est à son image : un processus à la fois harmonique qui resurgit régulièrement, et impulsionel non linéaire par les effets qu'il engendre, dans les oppositions qu'il rencontre, et dans la naissance d'autres concepts qu'il impulse. Pris dans son étendue, le mouvement cybernétique interagit avec un grand nombre d'autres mouvements systémiques et mathématiques, industriels et d'ingénierie.
Le concept de cybernétique est donc un concept cybernétique, donc pas seulement calculé, logique, causal et raisonné mais également intelligent, évolutif, et vivant dans un environnement actif.

La Cybernétique : une discipline ?
Analysée comme une discipline unique, la Cybernétique englobant les autres disciplines ne pouvait pas avoir d'existence réelle en France. Pour mieux comprendre sa présence, il est recommandé de garder à l'esprit que la transmission de l'information n'est pas qu'un transfert par flux codé canalisé voir traduit par transcodage ou transcription pour des besoins de commandement, d'ordre (gradient, treillis, arborescence) ou d'uniformisation (classe d'équivalence), mais bien un processus de l'information faisant intervenir de la diffusion, de la dispersion, de la diffraction avec interférences multiples, où tout phénomène de transformation, d'induction, de mutuelle, de transduction, d'influence voir d'inertie et même de percolation ou d'interaction et d'inter-réaction, est possible. En deux mots à la fois physique et humain.

Et, analysée dans la dualité du système de transmission de la connaissance cybernétique, dans un milieu beaucoup plus complexe (et peut être tout aussi cybernétique), qu'est son environnement universitaire, économique et social, l'évolution de la Cybernétique prend sa place non pas seulement que dans l'histoire, dans l'utilisation de son image marketing, et dans la libre communication de l'information (accès aux publications et colloques européens et internationaux, souvent IEEE et ACM), mais également dans la réflexion et l'application sur un plan nationale.

Mais où est donc passée la cybernétique en France ?
La France a connu l'impact de l'arrivée du concept et l'influence du mouvement cybernétique avec un décalage de 3 à 5 ans, lié au retard du développement de l'informatique française. Ce qui a permis un temps de réflexion pour réfléchir à son intégration dans les problématiques de recherche et développement. Dans les années 60, des écoles d'ingénieur comme l'INRIA (Institut National de la Rechercher Informatique et Automatique) ou l'ESIEA (École Supérieure d'Informatique-Électronique-Automatique, créée en 58 par M. Lafargue en liaison avec Stanford) ont très vite implanté les notions de système, d'ingénieur système lié à la cybernétique, ainsi que des grandes écoles comme Polytechnique et Supélec. À l'heure actuelle, la France dans un contexte national mais également européen et international, n'a pas exclue la cybernétique en soi, où au moins sa présence dans les congrès est constante à travers les publications étrangères, et où une ré-appropriation s'est effectuée dès les années 70.

Certes au départ dans les années 60's, naissant d'une confrontation des mathématiques, de la physique, de l'électronique, de l'automatique et de l'informatique appliquées à l'industrie, la cybernétique va prendre son essor et faire ces preuves, à la fois avec les ordinateurs "main-frame" dans les Centres de calcul, avec l'usage du travail en batch à partir de boîtes de cartes perforées en entrée, et des listings, des tableaux de chiffres ou graphiques en sortie, et sur le terrain des applications (le spatial, la navigation sous marine, l'avionique, le nucléaire, les fours et fourneaux industriels et les centrales de production), où la commande et la régulation analogiques et électromagnétique sont encore très présentes avant la commande numérique. L'informatique de l'époque ne résolvant pas toutes les problématiques, les modèles théoriques plus abstraits et plus généraux vont s'accroître. Très vite dans les années 70's l'arrivée de la mini-informatique (Honeywell-Bull, DEC, HP, InterTechnique, Télémécanique) dans les laboratoires et même certaines écoles, va permettre des entrées-sorties temps-réel (capteur-effecteur, caméra-outil robotisé). Et l'arrivée de la micro-informatique des années 80, va démultiplier les problématiques, les expérimentations et les applications tant dans l'aspect industriel qu'économique et sociale.

Certaines entités n'ont pas hésité à intégrer le vocable Cybernétique dans leur dénomination, comme l'IRCCyN (Institut de Recherche en Communications et Cybernétique de Nantes, http://www.irccyn.ec-nantes.fr/), créé en 1998, qui situe clairement la Cybernétique dans son identité, et anciennement l'AFCET, société savante française créée en 1970, constituée au départ sous le nom de "Association Française de Cybernétique Et Techniques", qui ne déclinera plus son sigle jusqu'à sa disparition, le terme n'étant plus considéré comme significatif. Mais en général, la Cybernétique n'apparaît qu'à l'intérieur de cours, par exemple à Strasbourg : École doctorale en Sciences Pour l'Ingénieur, Rentrée 2002, Photonique, Image et Cybernétique (http://www-edspi.u-strasbg.fr/sujets02_03Phot_Imag.html) ; ou sera sous-entendu dans l'enseignement et la recherche, comme historiquement à l'INRIA, créé en 1967 à Rocquencourt près de Paris, établissement public à caractère scientifique et technologique placé sous la double tutelle du ministère de la recherche et du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (http://www.inria.fr/), mais dont l'ambition maintenant est d'être au plan mondial un institut de recherche au cœur de la société de l'information ; et comme l'équipe Neurocybernétique dans l'Equipes Traitement des Images et du Signal de l'École nationale supérieure de l'électronique et de ses applications (ENSEA), où : "Les activités de recherche dans cet axe visent à comprendre les mécanismes mis en jeu lorsqu'un animal apprend à survivre dans son environnement et à les appliquer sur des robots autonomes en utilisant la vision comme source principale d'information. Ceci nous conduit à adopter une approche résolument non supervisée des réseaux de neurones et à ne considérer que des algorithmes dont les phases d'apprentissage et d'utilisation ne sont pas séparées." (http://www-etis.ensea.fr/%7Eneurocyber/G_neurocyber.html).

L'IRCCyN (UMR CNRS 6597) est une unité mixte de recherche du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), rattaché au Département Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication (STIC). Cet institut compte en 2003 environ 190 personnes, dont 89 chercheurs et enseignants chercheurs, 82 doctorants et 18 ingénieurs, techniciens et administratifs. Cet institut est aussi soutenu par les collectivités locales et régionales du fait de sa vocation à fédérer les activités nantaises de recherche relatives à l'étude des mécanismes de communication et de contrôle dans les machines, les systèmes organisationnels et les êtres vivants (cybernétique). La recherche à l'IRCCYN n’est pas seulement spéculative pour la production de connaissances nouvelles, mais elle est en grande partie de nature technologique, en ce sens qu'elle concerne le développement d'outils et de méthodologies capables d'apporter des solutions à des problèmes concrets issus du tissus industriel ou socio-économique. Les recherches et les actions de valorisation qui y sont développées couvrent un domaine scientifique très large, englobant : l'automatique, le traitement du signal, des images et des signaux radars, la robotique, la productique, la conception mécanique assistée par ordinateur, les systèmes temps réels, la logistique et la recherche opérationnelle, les télécommunications la modélisation électromagnétique, la prise en compte des facteurs humains (psychologie cognitive). Ceci en fait un des principaux laboratoires nationaux dans cette thématique. L'IRRCYN dispose de plus de 6000m2 de locaux répartis sur les trois sites de ses tutelles : l'École Centrale de Nantes, l'École polytechnique de l'Université de Nantes et l'École des Mines de Nantes.

L'AFCET après sa dissolution en plusieurs groupes va renaître dès 1998 dans l'ASTI, Association Sciences et Technologies de l'Information (http://asti.asso.fr/), regroupant et fédérant 25 associations fondatrices (près de 5000 membres) dont l'AFSCET, Association Française de Science des Systèmes Cybernétiques, Cognitifs et Techniques, parmi les autres comme ACM SIGGRAPH Paris : Professional and Student Chapter of the Specific Interest Groug on GRAPHics, Adeli : Association pour la maîtrise des systèmes d'information, Afia : Association française d'intelligence artificielle, Afig : Association Française d'informatique Graphique, Afihm : Association Francophone d'Interaction Homme-Machine, Afit : Association Française d'Informatique Théorique, AFPLC : Association Française pour la Programmation Logique sous contraintes, Afrif : Association Française de Reconnaissance et d'Interprétation des Formes, Ahti : Association histoire des télécommunications et de l'informatique, AILF : Association des Informaticiens de Langues Française, APCB : Association de Pilotage des Conférences internationales sur B, April : Association pour la promotion et la recherche en informatique libre, ARC : Association pour la Recherche en Cognisciences, ASF : ACM-Sigops-France, Astex : Association Française des utilisateurs de TeX, Atala : Association pour le traitement automatique des langues, Atief : Association des Technologies de l'Information pour l'Education et la Formation, Cigref : Club informatique des grandes entreprises françaises, ClubEEA : Club des enseignants et des chercheurs en électronique, électrotechnique et automatique, Club de l'Hypermonde : Lieu de réflexion sur l'interaction des technologies de l'information et de la communication sur l'individu et la société considérée d'un point de vue éthique, anthropologique et technique, Creis : Centre de Coordination pour la Recherche et l'Enseignement en Informatique et Société, EPI: Enseignement Public et Informatique, GRCE : Groupe de Recherche en Communication Ecrite, Gretsi : Groupe de Recherche en Traitement du Signal et de l'Image, Gutenberg : Groupe francophone des utilisateurs de Tex, Inforsid : Informatique des Organisations et des Systèmes d'Information et de Décision, Specif : Société des Personnels Enseignants et Chercheurs en informatique et avec ses Groupements de Recherche du CNRS en Sciences de l'information : GDR ALP : Algorithmique, Langage et Programmation, GDR ARP : Architecture et Parallélisme, GDR I3 : Information, Interaction, Intelligence, GDR Isis : Information, Signal, Image et Vision, GDR Automatique.

L'Afscet, Association Française de Science des Systèmes Cybernétiques, Cognitifs et Techniques, fondée récemment par les membres du comité Systémique et cognition de l'ex-Afcet poursuit l’approfondissement de la pratique systémique, issue de la théorie de l'information et de la cybernétique, privilégiant l'approche transdisciplinaire. Cette approche est devenue celle des sciences de la complexité, comme celle des sciences de la cognition, qui figurent parmi les développements scientifiques les plus remarquables de ce dernier quart de siècle. L’Afscet assure la représentation de la communauté systémique française auprès de l'Union Européenne de Systémique (UES).

Out of Control nous dit Kevin Kelly ?
Par conséquent le questionnement de Kevin Kelly, dans "Out of Control", looking at the question "What ever happened to cybernetics?", (http://www.kk.org/outofcontrol/ch23-a.html) est typiquement le résultat d'un système avec boucle de rétroaction marquant la non obtention en tant estimé ou souhaité d'une consigne par rapport à la demande initiale bien légitime de ses chercheurs de pointe, et due aux comportements environnementaux entachés de perturbations. Donc il n'est pas en dehors du contrôle mais bien dans une des étapes du contrôle, sachant que le modèle de cybernétique est également en cours de processus d'identification tout au long de son évolution.

Un peu d'histoire en France

Sans faire un travail d'historien, notre étude montre les éléments d'une histoire sans grand H, de faits révélés dans la littérature française et l'Internet sur cette fin de millénaire qui distingue deux courants majeurs mais pas uniques, explicatifs, ou du moins prêtant à réflexion pour une meilleure compréhension de l'évolution du concept de Cybernétique en France, dans laquelle l'auteur a été baigné et influencé, et a participé modestement durant ses trente-cinq années de recherche.

La Cybernétique et les Nouvelles Technologies dès les années 50
Quand elle apparaît au grand jour, les conditions initiales ne sont pas favorables en raison des différents courants politiques et sociaux très marqués en France : même si la révolution industrielle montre ses faiblesses entre les deux guerres (crise de 29, grèves de 36 présageant l'importance de la composante humaine dans son imbrication dans la technique du fait économique et industriel), le passage de l'électricité à l'électromécanique et à l'électronique donne aux ingénieurs et scientifiques des espoirs importants dans le calcul et la commande dans la précision du pilotage des processus industriels et automatismes ; et l'après-guerre laisse un double sentiment à la fois d'amitié indissoluble d'un peuple américain venant libérer l'Europe d'une dictature barbare, et de reconnaissance d'un plan Marshall qui favorisera au départ la reconstruction, mais qui deviendra vite une forte contrainte à la volonté de la France de mieux se développer tant dans son industrie (pour ne pas devenir des marchands de cartons mais bien des inventeurs, des créateurs et producteurs des nouvelles technologies) que dans sa culture (décolonisation des années 50, effervescences scientifique, technique, artistique et politique dès les années 60).

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Selon le compte-rendu, rédigé par C. Hoffsaes, d'un exposé de Jérôme Ramunni (Histoire des sciences et des techniques, http://www.asti.asso.fr/pages/groutrav/creis/Creis38.htm, Octobre 92) :
"En cette période de haute politisation des élites intellectuelles françaises, on réfléchissait beaucoup aux moyens de préserver l'identité de la France (en se préservant notamment de l'influence américaine). Deux milieux sont favorables à la machine de Louis Couffignal, à savoir celui des revues "Esprit" (numéro spécial 1950) et "la Pensée" (1953).".

Louis Couffignal
Louis Couffignal, 1902-1966: est considéré par certains comme le pionnier en informatique en France (http://histm2.free.fr/H.Couffign.htm). Depuis sa première note, en 1930, sur "la nouvelle machine à calculer" jusqu'à son dernier ouvrage, en 1965, "La cybernétique" en passant par "La machine à penser" en 1952, et "Les mécanismes du raisonnement " en 1963, sans oublier ses nombreux articles dans les revues scientifiques, mathématiques, économiques, et pédagogiques. L'ensemble des recherches fait de lui un des co-fondateurs de l'ordinateur et de la cybernétique. En 1938, il devient Docteur es-sciences grâce à sa thèse "L'analyse mécanique, application aux machines à calculer et à la mécanique céleste", qui pose les principes du calculateur universel binaire électromécanique. En 1941, il rencontre souvent Louis Lapicque, physiologiste, pour comparer le système nerveux et la machine. C'est la voie qui mène à la cybernétique. En 1946, il rencontre Norbert Wiener aux États-Unis qui s'intéresse au rapprochement entre les comportements finalisés de la machine et ceux de l'animal. Wiener vient à son tour en France pour rencontrer Louis Lapicque préoccupé par les mêmes problèmes, et Louis Couffignal qui travaille de son côté à la construction d'une machine à raisonner, utilisant le langage binaire. Pour les trois hommes c'est une période d'activité scientifique intense qui conduit, en 1948, WIENER à la publication à Paris de son ouvrage, en anglais, "Cybernetics", considéré comme la charte de la cybernétique.

Le projet de machine à calculer électronique a été soutenu par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et le Centre National des Arts et Métiers (CNAM). Couffignal était au fait des projets américains et britanniques au sujet des ordinateurs, mais il a voulu différencier profondément son projet des leurs en rejetant le rôle de la mémoire dans les nouvelles machines. En fait la machine de Couffignal n'a été jamais finie et cet échec a causé des retards important au calcul scientifique en France, tout en ayant maintenu un niveau de savoir-faire important.

Photo 2 et 3.

Les idées défendues par la revue "Esprit"
Les idées défendues par la revue "Esprit" mettent en avant l'aspect neutre de la machine par rapport à ce qu'en fait l'Homme et comme vecteur de l'évolution culturelle laissant à chacun des choix. Mais les propos affirmés ne sont pas nuancés : "Distinction nette entre la machine et la philosophie qui l'accompagne, danger du prestige conféré à la machine ; la technocratie américaine est considérée comme le véhicule d'une idéologie qui écrase l'individu ; d'où méfiance à l'égard des Anglo-Saxons ; la cybernétique est considérée comme un danger ; elle est une étape dans un projet venant de Leibniz, mais ce n'est pas une étape décisive ; le facteur décisif de son développement fut la guerre ; ce qu'apporte la cybernétique, c'est qu'elle nous permet de réfléchir sur la science et la relation entre science et technique ; la machine est un médiateur qui permet de remettre en valeur certains courants culturels ; accepter une technique, c'est relever ce qui rejoint l'évolution culturelle ; l'exposé de Guillebaud sur ce thème passe sans transition à un appui sans critique à la machine de Couffignal ; toute nouvelle technique nous offre un choix : il n'y a pas de développement inéluctable d'une technique.". Propos paradoxal quand on sait que Couffignal est né à Monflanquin (http://histm1.free.fr/), ville du Lot et Garonne dont les recherches archéologiques prouvent la présence romaine dans le canton au temps des Celtes Nitiobroges installés dans la région depuis le troisième siècle avant Jésus-Christ ; fortement romanisés au IV° siècle, la Société Nitiobroge au-dessus de la petite patrie Bordelaise, vénère Rome qui donne au monde sa Lumière ; et dont les textes révèlent que : "L'Humanisme classique, y compris son dédain de la technique, s'est transmis par les Universités à l'aristocratie Gallo-romaine ; les villes, comme Agen, sont des foyers indispensables à la diffusion de la culture romaine ; cette culture qui donne à tous un merveilleux instrument de communication et de relation" (Higounet ch. "Histoire de l'Aquitaine" : édition Privat 1971).

Les idées défendues par la revue "La Pensée"
Quant aux idées défendues par la revue "La Pensée", toutes aussi véhémentes, elles montrent Couffignal comme le défenseur de la culture européenne : "Refus de la cybernétique comme science capitaliste : hors des machines, la cybernétique est une vaste entreprise de mystification ; Couffignal a montré qu'aux USA, les machines souffrent de gigantisme et qu'on peut fabriquer des machines d'une taille plus raisonnable et plus efficaces ; il faut donc refuser le courant logiciste pour soutenir le calcul analogique, qui a une base physique, et s'opposer à la tentative cybernéticienne qui vise à établir la domination américaine sur la culture européenne."

Ces courants vont influencer dans le temps les choix de la politique française : "Lors du lancement du plan calcul, le discours de l'UDP (union des physiciens) fut de dire que les Américains avaient refusé à la France un gros ordinateur pour équiper le CEA ; en réalité, les deux événements furent rigoureusement indépendants ; l'argument servit à légitimer une décision : il s'agissait, en pleine période de restriction économique, de faire avaliser par le président De Gaulle, l'accord CGE-Thomson-CEA."

"À plusieurs reprises en France, on a observé qu'une idéologie anti-anglo-saxonne a freiné l'intégration de nouvelles techniques au profit de tentatives discutables comme celle de Couffignal. En Italie, on observe moins ce phénomène de refus car l'Italie est minoritaire et s'ouvre donc plus volontiers : langue et culture y sont plus récentes. L'informatique a donc pénétré plus facilement. Quand on n'est pas soi-même générateur d'une technique, celle-ci crée toujours une situation ambiguë : Quand ferme-t-on ? Quand ouvre-t-on ? Comment reçoit-on ?"

L'Homme et la machine
Ce paradoxe culturel va s'exprimer fortement fin des années 60 entre différents courants de pensée : d'une part un engouement pour la Cybernétique allant à son paroxysme de considérer l'Homme comme une machine, ou de découvrir la machine qui est dans l'Homme, déjà imaginée alors que l'électricité n'était pas encore électronique (L.G. Rancoule, 1921) ;

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Découvrir la machine qui est dans l'Homme, Invention 008185 de LG. RANCOULE 1921.

Une volonté humaniste et un désir artistique
Et d'autre part une volonté humaniste, rejoignant le monde ouvrier et annonçant ouvertement : "l'Université ne fera pas de ces étudiants des robots mais des Hommes", et de mettre l'Homme dans la machine ; ce qui sera repris plus tard dans le Design et l'ergonomie industrielle : vérifier que les postes de travail soient adaptés aux facultés humaines (biomécanique, psychophysiologie de la perception, environnement non polluant), et adapter la machine à l'Homme et non le contraire comme Charlie Chapelin le dénonça si bien dans son film "Les temps modernes".

À cette époque dans le mouvement artistique, se retrouvent d'une part les tendances réflexives plus littéraires et plus proches des contre-pouvoirs, spéculant sur les peurs et la condition humaine, mais initiant plus fortement le droit à la parole des peuples, et leurs rôles dans ces processus dits cybernétiques. Et d'autre part les tendances créatrices, sans doute aussi critiques aux pouvoirs, voient en la Cybernétique une solution aux crises de l'époque et marchent au contraire à fond.

Dans ses musiques formelles, Iannis Xénakis met déjà l'accent sur le changement de la société, en dénonçant "la polyphonie linéaire comme écriture qui se détruit d'elle-même par sa complexité actuelle" (Gravesaner Blätter, n°1, 1955), et avec un refus de la causalité comme unique méthode d'expression de l'observation, de la perception et de la conception (Gravesaner Blätter, n°6, 1956) : "La nouvelle génération est autre, sans titre pour l'instant, mais avec un visage ; les sports, la politique, l'avion, la télévision, les servo-mécanismes et l'atome en sont des traits majeurs. La musique doit exprimer ses forces morales et intellectuelles et ne peut plus être une musique de salon linéaire ; elle doit sortir dans les vastes acquisitions des formes de vie et de pensée de cette génération. La théorie et le calcul des probabilités sont des instruments féconds qui ouvrent de nouveaux horizons, non seulement dans la manipulation (technique), mais aussi dans la conception … Certains passages seulement (de mes œuvres) ne pouvaient trouver d'appui que dans les probabilités, dit-il ; mais, la pensée n'est pas linéaire. Elle est fondamentalement globale et massique". Architecte et compositeur, collaborateur de Le Corbusier, la composition est, pour lui hors temps, architecturale, potentiellement combinatoire et probabiliste, et permet de créer en temps, des évolutions par des opérateurs stochastiques et des perturbations provenant de l'environnement, dont la pondération est donnée par des lois de distribution, et où la condition d'entrée d'un instant est fonction du résultat de l'instant précédent. Le feedback est alors présent, dans des architectures sonores complexes (Pithoprakta 1956, Achorripsis 1957, Akrata, 1964, Polytope 1966).

Photo 5 : Cités cosmiques dans des coques de 5000 mètres d'altitudes (1963).

C'est dans ce contexte que naîtront les premières recherches de l'auteur (Trans-combinaison et représentation du cube dans la nième dimension, Patrick Saint-Jean, 1967) qui devient dans les années 70, le proche collaborateur de Iannis Xénakis, et concevra pour lui le premier système interactif pour la composition musicale et visuelle sur mini-ordinateur. Dès 1974, il enseignera aussi, avec lui en DEA d'arts plastiques et sciences de l'art de l'Université Panthéon - Sorbonne de Paris, la composition musicale et visuelle formelle, mais avec une vision plus systémique. Ce système : l'UPIC, Unité Polyagogique Informatique du Centre d'Étude Mathématique et Automatique MUsicale (version Solar 16-40 de la Télémécanique avec table à dessin numérique A0 Tektronics 4096, et menus interactifs programmables, Centre National Étude en Télécommunication, 1976, développé dans les années 80 sur micro-ordinateur) lui permit d'initier la notion de feedback dans la recherche de l'intelligence artificielle sonore et visuelle (Patrick Saint-Jean, diplôme d'ingénieur ESIEA, 1977).

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UPIC, Unité Polyagogique Informatique du Centre d'Étude Mathématique et Automatique MUsicale

À cette époque, l'auteur organisera également une conférence sur la télé-composition musicale par ordinateur, avec le compositeur Pietro Grossy : une première mondiale de composition musicale interactive à longue distance, entre Issy-les-Moulineaux près de Paris et le Centre IBM de Pise en Italie (CNET, CEMAMu, 1977). Le compositeur manipule sa console pour obtenir un retour musicale propre à son esthétique, et à la grande satisfaction d'un public étonné. Les boucles cybernétiques ne sont pas qu'internes, mais un feedback humain intervient dans la finalité de l'œuvre.

Au GRM de l'ORTF (Groupe de Recherches Musicales de l'office de la radio et de la télévision française), Pierre Schaeffer et Guy Reibel dans le Traité des objets musicaux (sixième thème de réflexion, sixième idée sur le timbre instrumental, dans le contexte des causalités, Édition du Seuil, 1967) nous signalent : "Nous avons vu combien il est parfois difficile de reconnaître un timbre instrumental, dès qu'un son isolé est séparé de son contexte." Ce qui le conduisait à conclure : "notre propos depuis quelques instants, s'évade du domaine qu'il s'était assigné ; tant que nous comparions des bandes passantes ou des dynamiques, éléments de l'objet physique, avec la perception d'un timbre, éléments de l'objet musical, nous poursuivions l'étude des corrélations entre musique et acoustique ; mais, dès que nous faisons intervenir le contexte de causalité, nous entrons dans la psychologie de l'audition proprement dite". Il marquait ainsi l'importance de la perception de causalité dans l'interprétation d'un son, en dehors de son contexte physique. Ce qui en donnait toute sa complexité subjective dans son utilisation, le différentiant de sa forme et de son type, objectifs dans sa prise de conscience pour lui-même et en confrontation aux autres.

De son côté, ce sont des solutions révolutionnaires que propose Nicolas Schöffer fervent de l'Art total, dans son livre le plus important : "La ville Cybernétique" (1969, Édition Tchou, Paris). Elles vont de la construction d'Universités verticales et de Centres de loisirs sexuels, à celle d'ensembles conçus pour le repos ; "Harmonisation des techniques les plus avancées et de l'univers naturel, elles impliquent une réinvention totale de la ville ; en dénonçant le droit à la ville, ce que nous avons perdu, : centre d'activité et d'échanges, autrefois milieu où se crée la culture, elle n'est plus aujourd'hui qu'asphyxie et névrose collective." ; "La société ne subira plus son destin, elle le créera" affirme-t-il (Projet de "La Tour Lumière Cybernétique de Paris", Constitution de l'ensemble cybernétique, 1972, Édition Denoël, http://www.olats.org/schoffer/livlvc1.htm) en expliquant : "L'explosion démographique a mis en évidence un phénomène nouveau et grave dans la société occidentale : le nombre des médiocrisés se multiplie à mesure que celui des humains augmente, bien que le pourcentage entre l'élite et les médiocrisés reste le même ; Le terme de médiocrisation ne doit pas être pris dans un sens péjoratif, mais envisagé sous l'angle de l'évolution et de l'Histoire ; La médiocrisation, c'est l'anomie, le manque d'information ; chaque individu, étant pourvu de sens qui lui permettent de percevoir les phénomènes ambiants, d'enregistrer des informations, de les mémoriser, d'exercer sa combinatoire ; La médiocrité résulte d'un niveau d'information extrêmement bas ; le fait d'empêcher les masses de s'informer, ou de leur fournir des informations médiocres est une des causes de ce sous-développement (L'avenir de l'homme, l'homme de l'avenir, Le processus de médiocrisation, "La Ville Cybernétique", 1968)."

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La société ne subira plus son destin, elle le créera.

Chez un artiste, plus contemporain on retrouve toujours l'esprit cybernétique des années 60, mais redimensionné par les nouvelles technologies informatiques, avec les feedbacks de l'interactivité humaine. Par exemple, AAASeed est un logiciel conçu, réalisé et mis en scène par Emmanuel Berriet (http://www.lagraine.com/v2/fra/decors/central.html), pour la création de monde 3D, temps réel et interactif, un outil de développement, un légo "virtuel", un générateur d'images… Développé depuis 1996 entièrement en C et C++, le logiciel est indépendant du système d'exploitation… Le modèle conceptuel sur lequel est bâti AAASeed est celui des vieux synthétiseurs de sons analogiques. C'est-à-dire des blocs physiques et indépendants, encapsulant chacun une fonctionnalité spécifique : clavier, oscillateur, filtre, modulateur en anneau, réverbération… Le musicien connecte alors ces différents blocs à l'aide de câbles standard, créant ainsi des processus plus complexes : deux oscillateurs dont la sortie de l'un est connectée à l'entrée fréquence de l'autre constituent un bloc de modulation de fréquence… L'utilisation de blocs AAASeed, interconnectés de manière appropriée, permet de construire virtuellement et en temps réel toutes applications informatiques. Le champ d'application n'est limité que par les fonctionnalités des blocs existants, et par la puissance des machines hôtes.

Un besoin d'ergonomie en Génie Biologique et Médical
Parallèlement l'auteur concevait également, pour des besoins de recherche de diagnostique automatique en analyse clinique, une console interactive et son logiciel d'imagerie, pour l'analyse et la classification chromosomique automatique et semi-automatique sur un système de mini-ordinateur (Multi 20 Intertechnique), pilotant un Automate Spécialisé dans le Traitement d'Image (A.S.T.I., Service d'Electronique, CEA-Saclay), couplé par une caméra sur microscope (Rapport d'Activité, Dpr, IPSN, CEA, CEN-FAR, 1977). Le système en boucle, était contrôlé par le pilotage d'une chaîne de caractères, visualisée linéairement en bas d'écran et codant, les traitements modulaires avec possibilité de feedback selon l'analyse de l'environnement, sous forme d'une "partition interactive avec reprise et da capo" comme protocole d'expérimentation.

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Un besoin dans toutes les disciplines
Dans le monde scientifique, la Cybernétique est représentée par les uns comme une révolution post-industrielle impliquant les sciences "dures" (physique, mathématiques, électronique, automatique, informatique), et les autres les sciences dites "molles" pour les sciences humaines (psychologie, sociologie, biologie, médecine) qui, ne se contentant pas de calculs probabilistes, voulaient en savoir plus sur le comportement, le processus, le phénomène et l'événement, où l'Homme est, ou se sent, concerné (problématique de l'existence ou non de l'observateur et de l'acteur humain). L'auteur, dans ces modèles relationnels de texturologie prétopologique tentera d'introduire les sciences dites "plastiques" (un peu comme pour les arts plastiques) où les processus intègrent les relations subjectives objectivées, les réflexions, à propriétés non transitives variables, qui fait que par affaiblissement ou approximation et son contraire, il est possible de passer d'un point de vue de science molle à celui d'une science dure, et réciproquement.

Dans l'esprit de WIENER, par : "Science de contrôle et de la communication chez l'animal, et dans les machines", la définition de Cybernétique repose sur le raisonnement selon lequel, si l'on peut construire des machines capables de montrer les mêmes comportements que l'Homme, c'est que les principes mis en œuvre dans les deux cas sont identiques ; et si l'on admet cette analogie, il est possible d'étudier dans un même cadre tous les comportements finalisés, qu'ils soient le fait de la matière inerte ou de la matière vivante. Certains cybernéticiens affirment même qu'il n'est probablement aucun domaine de la pensée ou de l'activité matérielle de l'Homme dont on puisse dire que la cybernétique n'y aura pas, tôt ou tard, un rôle à jouer. Pour mieux faire admettre cette affirmation, des biologistes et des ingénieurs de Bristol ont créé très tôt des tortues mécaniques, assez complexes pour contourner les obstacles ou se brancher d'elles-mêmes à des sources d'énergie ; ces "Machines - Réflexes" ouvraient la voie, à la recherche de "machines capables d'apprendre", c'est-à-dire "supérieures" à leurs constructeurs. Ce passage de l'automatisation où la machine agit en fonction d'ordres reçus, à l'automation où la machine agit en fonction des objectifs choisis, précise les bases de la révolution post-industrielle en cours, où les machines se contrôlent elles-mêmes. Les tortues de Bristol ouvraient en même temps un champ immense aux chercheurs de tous ordres. Même le cinéma, reflet d'une époque s'y est intéressé : La Cybernétique ! C'est l'ordinateur qui éprouve des sentiments humains, dans "2001 Odyssée de l'Espace" ; ce sont les robots et androïdes, arrières petits-fils des Tortues de Bristol, qui deviennent les héros de "La guerre des Étoiles" ; c'est surtout une prise en compte par l'imaginaire des jeunes générations, d'une évolution en cours, meilleure façon, peut-être, de la mesurer et la dominer.

Quand il ouvre la cellule sur son environnement, retrace le cheminement du flux d'énergie qui du soleil à l'homme, alimente la vie, Henri Laborit (http://www.sdm.qc.ca/txtdoc/tbhlabor.html), chirurgien puis chercheur en biologie et psychophysiologie, s'interroge sur "La cybernétique et la machine humaine". L'intégration des niveaux de complexité, l'interdépendance des structures et des fonctions et la dynamique des interactions, introduisent une culture naturelle des rétroactions et des évolutions. Les régulations cybernétiques constituent un versant important, de l'approche d'Henri Laborit. Avec Grey Walters, Ross Ashby, Pierre de Latil, Albert Ducrocq, Louis Couffignal, et Sauvan, il participe à l'émergence de la pensée cybernétique, et à son application à la biologie. Les notions de systèmes ouverts et de niveaux d'organisation vont le faire distinguer l'aspect thermodynamique, qui régule les réactions chimiques de l'ordre des échanges de matière et d'énergie, de l'aspect informationnel ; appuyant ainsi Norbert Wiener dans son affirmation, il confirme : "L'information n'est qu'Information, elle n'est ni masse ni énergie", et soulignant que les éléments atomiques sont les mêmes entre les mondes vivant et inanimé, et que c'est leur information (information-structure et information-circulante), étymologiquement leur mise en forme qui est particulière ; elle représente quelque chose qui fait, que le tout n'est pas seulement la somme des parties. Comme le dit, dans son livre, Joël de Rosnay : "Henri Laborit, homme total et libre dans l'univers fragmenté des disciplines, restera, en cette fin du 20-ème siècle, comme un pionnier de la pensée complexe, et l'inspirateur d'un nouveau sens de la vie" (Un Hommage à Henri Laborit, "Laborit : de la cybernétique à la systémique", 9 juin 1995, http://csiweb2.cite-sciences.fr/derosnay/articles/labo.htm).

Pour l'auteur, Henri Laborit est d'abord un voisin d'escalier, dans un HLM du 13-ième arrondissement de Paris. Simple et modeste, déjà connu pour ces travaux dans les années 50, il intriguera l'auteur dans les années 60 (Les régulations métaboliques, Masson, 1965), et suscitera chez lui, avec ceux de Monod et Jacob sur l'ADN, un éveil pour la biologie "aussi complexe que les musiques formelles". Dans les années 80, au cours d'un entretien au bord du lac de Genève, ils s'interrogeaient mutuellement sur le pourquoi "les systèmes complexes et leurs modélisations ont encore tant de mal à se développer et s'appliquer". Chaque décennie, l'informatique apportait régulièrement ses espoirs et ses désillusions. Mais avec la microinformatique interactive, cela devait être la bonne ! se disaient-ils.

Langage de commande et philosophie scientifique
C'est vrai en fait que les traductions françaises de Douglas Hofstadter ("Gödel, Escher, Bach : les brins d'une guirlande éternelle", InterEditions, Paris, 1985, pour la version anglaise de 1979), et de Marvin Minsky (La Société de l'Esprit, InterEditions, Paris, 1988, pour la version anglaise de 1985) paraissent en France tardivement. Et l'on voit se dessiner l'enchevêtrement des mouvements paradoxaux, bouclés et interactifs, visant d'une part à mieux définir la complexité, pour mieux comprendre la nature des choses et éviter les décisions sommaires, par une approche langagière, à la fois langage de commande et philosophie scientifique, très riche en observations et en expériences de la complexité, conduisant à faire évoluer les automatismes réflexes en régulation, puis les langages en règles et métarègles, les protocoles en procédures, pour donner une intelligence artificielle interne aux machines (et peut être inconsciemment à l'Homme). Et d'autre part, à la simplification des modèles, certes pour raison de calcul, mais également par un pouvoir institutionnel qui, développant à merveille la topologie, structures universelles de classe et d'ordre (Bourbaki, Laurent Schartz, chez Hermann, 1970), écroule les outils de modélisation des systèmes complexes non connexes au profit des statistiques plus globales qui permettent une interprétation causale plus facile. Ce qui poussera, et confirmera l'auteur dans ses recherches d'un autre ordre donnant droit à la différence, et à la ressemblance sans être l'identique, le clone.

En imaginant "L'homme imaginant" (Essai de biologie politique, Bourgeois, Paris, 1990, c1970), où il aborde les sujets les plus variés concernant tant l'individu que la société, le spirituel que le matériel, l'industrie que la recherche fondamentale, Henri Laborit affirme comme essentielle, la notion du rôle déterminant de l'imagination à partir des connaissances acquises.

Dans le dictionnaire de l'ASTI (Association Sciences et Technologies de l'Information, Pierre Berger du Club de l'Hypermonde, et rédacteur d'ASTI-Hebdo http://asti.asso.fr/pages/Hebdo/AHDico.htm), nous constatons que dès 1959, comme l'indique une note de la Cogeter (commission générale de terminologie, Délégation générale à la langue française, Ministère de la Culture, http://www.culture.fr/culture/dglf/cogeter/16-03-99-internet.html, en 2002), l'Académie des sciences décide que : "L'emploi du terme "cybernétique" doit être limité à la science des mécanismes, régulateurs et servomécanismes, tandis que "télétechnique" comprendrait tout ce qui relève de la technique des télécommunications et de la théorie de l'information". Une explication s'en suit : "On pourrait interpréter ce désintérêt par le caractère rationaliste, cartésien de la culture française : le modèle cybernétique, avec sa boucle de rétroaction qui valorise l'erreur (donc le "droit à l'erreur"), conviendrait mieux à la mentalité empirique des Anglais ou au caractère des pionniers américains, qui privilégie plutôt le "launch and learn" (se lancer ou déclencher un événement, une expérience, et apprendre). La constitution française de 1958 privilégie la compétence, au détriment de la délibération (Stéphane Callens, Démocratie et télésurveilance, Septentrion 2002).". Mais : "la Cogeter concède cependant que le préfixe "cyber" peut se révéler utile dans certains cas. Ne serait-ce que pour son caractère concret et évocateur ; il convient donc de le conserver lorsqu'il s'est imposé dans l'usage, et, sans s'en interdire l'emploi, de garder à l'esprit que d'autres choix peuvent être préférables. Il ne faudrait pas en déduire que les concepts, mis en avant par Norbert Wiener, aient suscité peu d'intérêt dans la patrie de Descartes. Bien au contraire, mais, les Français préfèrent en traiter dans des disciplines mieux délimitées, portant éventuellement des noms forgés par eux-mêmes, comme informatique, systémique, ou plus mathématiques, comme automatique et recherche opérationnelle". "Après des débats parfois très vifs (années 1980 surtout), toutes ces disciplines sont restées centrées sur leurs volets les plus techniques et formels, à l'exception de la systémique. Cette dernière, d'abord appelée "analyse de systèmes", a donné lieu à plusieurs congrès et à de nombreuses publications à la fin des années 1970. Son volet "système d'information", a débouché sur la création de l'association Inforsid et, indirectement, sur l'élaboration en France de la méthode d'analyse Merise". "Dans la même mouvance, un autre vocable télématique, a été formé par Simon Nora et Alain Minc pour leur rapport "L'informatisation de la société", demandé par le président Giscard d'Estaing en 1976 (Publication Documentation française 1978). D'orientation essentiellement pratique, il a débouché sur la constitution en 1982, du premier véritable réseau d'information grand public, le Télétel (plus connu sous le nom de son terminal spécialisé, le Minitel), alors qu'Internet n'était encore qu'un petit réseau destiné aux scientifiques."

Cybernétique et Systémique
Robert Vallée du comité de rédaction de la Revue de systémique de l'Afcet, Professeur émérite de l'Université de Paris Nord, Directeur de World organisation of "systems and cybernetics", fondateur en 1950 du "cercle d'études cybernétiques", a bien connu Norbert Wiener, et traitera de la relation entre cybernétique et systémique dans plusieurs ouvrages : "Systémique et Cybernétique, Cognition et système - essai d'épistémo-praxéologie" (1995, coll. Système(s), éd l'Interdisciplinaire, 69760 Limonest) et "La Cybernétique et l'avenir de l'Homme" (Revue internationale de systémique, vol. 9, n°4, 1995, publié initialement en 1952) ; l'idée d'"un être nouveau, recouvrant la planète" se retrouve dans des ouvrages de Joel de Rosnay et notamment dans "l'homme symbiotique", 1995, sous le nom de "cybionte" ; également "temps propre d'un système dynamique, cas d'un système explosif-implosif" (Actes du 3ème Congrès européen de systémique, Ed Kappa, Rome, 1996) ; "Descartes et la cybernétique" (Alliage n°28, automne 96) ; "Origine et évolution de la systémique", in "systémique, théorie et applications" (Le Gallou et Bouchon-Meunier, Lavoisier, Paris 1992) ; et "La caverne de Platon revisitée" (in "praxis et cognition", Bernard -Weil et Tabary, L'Interdisciplinaire, Limonest, 1991).

L'Afcet, dans la Revue de systémique, (Vol 3, n°4, Dunod, 1989), a stabilisé sa classification sur une intégration de la Cybernétique dans le premier des deux groupes de stratégies de mathématisation systémique (systémique-mathématique et mathématique-systémique) avec : "la théorie de l'information, la théorie des automates, les réseaux neuronaux, les relations arithmétiques et la théorie de la reconstructibilité", définissant ce qu'apporte la systémique aux mathématiques, et pour les différencier de : "la théorie mathématique des systèmes, la théorie des catastrophes, les fractals, le chaos, la théorie des ensembles flous, la théorie des catégories et la théorie des jeux", caractérisant l'apport des mathématiques à la systémique.

Robert Vallée fut membre du jury de la thèse de Docteur Es-Sciences de l'Université de Paris-Nord (Biologie des Organismes, Biologie du Développement), présentée par l'auteur, thèse intitulée : "Processus de production et d'expérimentation biologiques, et médicales, par l'analyse de texture prétopologique et la robotique de laboratoire", soutenue le 30 janvier 1989.

Là, au laboratoire de Génie Biologique et Médical de cette Université, l'auteur, alors chef de projet INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), concevra un système de culture cellulaire et lancera en 1982 la robotique de laboratoire. À partir d'un protocole clinique, mis sous forme d'un langage de programmation cybernétique et systémique, un Apple II (8) pilote automatiquement un système informatique composé d'un robot (1) chargé d'une part, de l'entretien de culture cellulaire avec changement de milieu nutricionel (3), dans une hotte à flux (4), avec étuve (2) régulée en température, et d'autre part de l'observation visuelle et automatique sur microscope avec platine motorisée (9) et caméra (7) ; deux processus bouclés d'analyse d'image se déroulent en permanence : l'un pour la survie et le développement des cellules (changement robotisé du milieu de culture, minimisation des observations), et l'autre pour l'observation du comportement et de la vie cellulaire ; pour se faire, l'Apple II inclut dans son protocole des tâches commandées soit directement à un PDP 11/40 de DEC, soit par son intermédiaire à un Automate TAS de Leitz (Texture Analyse System) ; les tâches du TAS (acquisition d'image à partir de la caméra sur le microscope, pré-traitement d'image et envoi au PDP) sont pré-cablées ou micro-programmée ; les tâches du PDP (gestion automatique double flux des commandes entre Apple-PDP-TAS, analyse de texture, reconnaissance de forme, diagnostique automatique, édition de résultats documentaires) sont programmées ; si la reconnaissance de forme est possible pour la segmentation, et la recherche de traits pertinents, l'analyse de texture prétopologique informe sur la texture de la cellule isolée au tissu cellulaire obtenu par croissance ; le protocole sur l'Apple II décidera de l'action future à exécuter selon les résultats obtenus jusqu'à l'arrêt, prévu ou automatique prévisible, de la culture ayant durée plusieurs jours, puis de l'expérience (fin du protocole par édition de son histoire).
 
 

Photo 9.

Dans son étude sur ce qu'il appellera les textures prétopologiques et l'approche systémique pour des besoins d'intelligence artificielle sensori-motrice et visio-linguée, l'auteur considèrera la Cybernétique comme sciences tant de la machine (servo-mécanisme) que de l'organisation, et l'intégrera dans l'approche systémique des sciences sensorielles de l'action créatrice en référence à Bergson, (L'Évolution créatrice, la pensée et le mouvant, 1907) dont l'auteur passa volontairement sa thèse un siècle après la sienne. Avec Deleuze et Guattari, prolongeant la pensée Bergsonienne, avec une vision contemporaine systémique et cybernétique, le virtuel joue alors le rôle du futur en rétroaction du présent pour provoquer la création dans la trace historique du passé. Pour l'auteur, cette rétroaction n'est pas négative ni soustractive mais différenciatrice ajoute de la différence à l'identique, du contraste à l'intensité, n'obligeant pas à un positivisme explosif en remplacement à une platitude uniforme. Remontant l'histoire de l'approche systémique à Héraclite et les pythagoriciens ayant déjà une conception globaliste du monde : "Joignez ce qui est complet et ce qui ne l'est pas, ce qui concorde et ce qui discorde, ce qui est en harmonie et ce qui est en désaccord (500 ans avant Jésus-Christ).", l'auteur y associe également ses contemporains : Von Bertalanffy ("théorie du système général", 1922, 1932, 1947, 1949), Fréchet (Théorie des écarts, 1921), Wiener (Cybernetics, 1948), Shannon (théorie mathématique de la communication, 1948), Forrester (dynamique générale des systèmes, 1960), Manning (introduction de la systémique dans un programme de gouvernement canadien, 1967), et également Chomsky, de Saussure, J. Lesourne, J.L. Le Moigne., E. Morin. L'auteur passera quelques moments passionnants, durant l'été dans années 80, dans les bibliothèques du MIT à Boston, de Berkeley à San Francisco et UCLA à Los Angeles, trop heureux d'y découvrir un état de l'art en avance, mais toujours un peu déçu de voir les recherches se borner à des modèles topologiques. Encore actuellement, les mathématiciens ont du mal à gérer la notion de proximité autrement que par celle de distance linéaire et d'intégration uniforme. Pour l'auteur, ses recherches depuis 1967, le conduisent régulièrement à confirmer ses idées, ses visions, ses expériences et observations comme quoi la Nature est plus d'ordre prétopologique, et texturée dans son approche systémique. Ainsi, le voisin de mon voisin n'est pas forcément mon voisin et le principe topologique n'est qu'un cas particulier pour les systèmes isolés connexes qui même globalitaire redeviennent totalitaires par absence de la prise en compte de la variété localitaire, détruisant ainsi le principe trilogique : local (matière), total (information), global (énergie). La proximité est alors une question de champs local d'action ou de perception, et l'intégration celle de comptage d'éléments détectés par composition de relations liés aux propriétés considérées. Les équations complexes dont les coefficients sont des amplitudes quantiques, déterminent une trilogie de fonctions d'onde texturantes caractéristique pour chaque ensemble relationnel d'un ensemble englobant. Les opérateurs ne sont plus uniformes, topologiques mais adaptatifs, prétopologiques. Toutes évolution est alors modélisée par des processus prétoplogiques markoviens. La micro-informatique, prenant le pas sur la mini, dans les années 80, l'auteur concevra au Laboratoire de Psychophysiologie de la Vision (CNRS, Université de Paris I, François Molnar, 1980), un système d'analyse du mouvement des yeux (lunette infrarouge couplée à une électronique d'amplification asymétrique, connectée à la couche de filtrage d'un oscilloscope Tektronix, fournissant les coordonnées stables et normalisées numérisées par un ITT 2020, compatible Apple II). Le logiciel de visualisation fait apparaître les points de fixation et les chemins de transition du mouvement des yeux dans l'observation d'une œuvre d'art et détermine les coefficients d'un processus markovien de simulation du regard. Parallèlement, l'auteur travailla également pour le CNES (Centre National d'Études Spatiales, Numelec, Métaviseur, 1981) sur la réalisation d'un automate de suivi de la trajectographie de la fusée Ariane : deux radars envoient les informations temps réel à un processeur 128 bits, piloté par un micro-ordinateur Intel 8086 qui gère l'observation de la position de la fusée entre les nominales de son ascension et déclenche l'alerte en cas de disfonctionnement avec une commutation régulée d'un système de cartographie dynamique en couleurs, pour définir et visualiser le point de chute probable, aidant à la décision du contrôle et processus de destruction ou de récupération.

Partie II
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